Soudain, un courant d'air frais vint doucement lui caresser le visage. Lyle ne réfléchit même pas, il se mit à courir dans le couloir au bout duquel il pouvait à présent apercevoir un filet de lumière. Le bruit de ses pas le suivait le long des machines entreposées qui paraissaient mortes à tout jamais. L'écho était lui même répercuté contre les parois creuses, si bien qu'on aurait pu croire qu'une foule entière traversait les passages tordus des entrailles de la salle des machines. La lumière s'intensifia dans les yeux de Lyle, la promesse de liberté lui donnait des ailes.
Une fois au bout, il se rendit compte que, comme il l'avait imaginé, la porte blindée du sas de secours était entrouverte, laissant filtrer l'air et la lumière. Comment cela était-il possible? Peut lui importait à présent, la situation dans laquelle il se trouvait lui paraissait tellement irréelle.
Lyle posa le pied sur le sol de la mégapiste. Il avait l'impression de se trouver sur une autre planète. Un vent chaud lui balaya la face, ramenant ses cheveux ébouriffés en arrière, de façon à ce qu'il put admirer pleinement la vision d'horreur qui s'offrait à lui. Le ciel, transformé en un maelström brunâtre, était déchiré d'éclairs écarlates émanant de court-circuits dans le câblage du toit de la coupole. Une épaisse fumée dansait autour des restes du soleil artificiel. L'éclairage secondaire avait pris le relais et diffusait sa lumière rougeâtre. Le plasbéton de la mégapiste lui-même était jonché de débris et d'ordures que le vent ensablé charriait entre les roues des véhicules immobiles. Les yeux de Lyle se révulsèrent lorsqu'il constata que ces derniers n'étaient plus que des épaves, au même titre que le sien. Les morceaux de verre carbonisés luisaient faiblement autour des carcasses encore fumantes. Le paysage tout entier semblait avoir brûlé, les édifices étaient désertés par la vie.
Lyle s'avança prudemment, n'y croyant qu'à moitié. Il voulu regarder son instrument de mesure temporelle, mais celui-ci s'était arrêté, tout comme les autres appareils électro-statiques qu'il avait croisé jusqu'à présent. L'adrénaline s'écoulait maintenant dans ses veines, ralentissant le temps autour de lui. Sa perception augmentée lui dilatait les yeux. Lyle était fréquemment parcouru de spasmes dès qu'un bruit extérieur le faisait sursauter. C'en était trop pour son enveloppe charnelle, trop d'émotions.
Combien de temps était-il resté assoupi? L'intérieur de la coupole avait tellement changé. Cela dépassait tout ce qu'il avait pu imaginer.
Son regard s'attarda sur une formée tassée près des réacteurs ioniques de son tetracyclomoteur. Il fut d'abord intrigué, puis horrifié lorsqu'il constata que c'était un corps humain. Les traits du visage tirés par la douleur, son corps tout entier figé dans cette position de souffrance. Sa peau et ses vêtements avaient fondu pour ne former qu'une couche grisâtre de matière calcinée. Le cadavre semblait dur comme la pierre, mais Lyle était pratiquement sûr qu'un simple contact le réduirait en poussière. Mais le pire n'était pas là. Maintenant, Lyle reconnaissait ces traces, ces brûlures sur la route, cet aspect dévasté qu'avait le paysage. Une bombe à photon, il ne voyait que ça. L'une des plus puissantes armes de l'humanité, capable de réduire à néant des planètes entière en quelques battements de cils. Mais par Dieu, une dernière question lui brûlait les lèvres : comment diable avait-il survécu? L'hypothèse de la chance n'arrivait pas à apaiser ses tourments. Les pensées se bousculèrent dans sa tête : sa famille était-elle encore vivante? Qui avait commandité l'attaque? Comment allait-il s'en sortir? Lyle sentit que l'eau allait à nouveau sortir de ses globes oculaires, mais on ne lui en laissa pas le temps.
Quelque chose explosa derrière lui, projetant des gravats dans et débris de plasbéton dans les airs. Lyle, dans un ultime réflexe, se boucha les oreilles de ses mains et s'agenouilla. De la poussière se déposa sur sa chevelure tandis que le bruit des retombées lui intima de se relever. Il put alors constater qu'il n'était plus seul. Plusieurs morceaux de corps ensanglantés se trouvaient à présent dans son dos. Des cadavres frais, portant des restes d'uniformes de l'IAM. L'IAM, la Milice Armée Internationale, la seule force militaire de la planète composée uniquement de volontaires. Si ils étaient ici, cela signifiait qu'il s'agissait d'une guerre ouverte.
Un soldat déactiva son système d'auto-camouflage à côté de Lyle qui sursauta une fois encore quand l'impulsion électrique révéla les couleurs rouges et noires de l'uniforme du milicien. Celui-ci attrapa Lyle par les épaules et parla à travers son masque de combat, mais Lyle ne comprenais à cause du bruit de fond assourdissant qui régnait ici.
À ce moment, plusieurs rafales courtes retentirent en même temps que de plus lourdes détonations. Le milicien poussa Lyle derrière un monceau de débris et sortit son fusil à nano-projectiles pour répliquer. Il appuya ensuite sur une commande de sa ceinture multi-fonction et disparu à nouveau aux yeux de Lyle. Il ne pouvait pas suivre l'échange de tirs violent sans un matériel adéquat, mais le son qui lui parvenait et les éclats de fer volants aux alentours ne lui en donnèrent pas l'envie. Les yeux exorbités par la peur, il resta immobile derrière sa cachette. Il entendit plusieurs cris humains qui lui glacèrent le sang. C'est alors que le couinement répétitif d'une alarme retentit au loin. Intrigué, il se leva et regarda autour de lui. La boucherie continuait, mais les bruits ne lui parvenaient plus, seulement ce signal sonore aigu et désagréable, comme si il son cerveau était complètement déconnecté.
Lyle ouvrit les yeux et se réveilla, encore à moitié dans l'autre monde. Son ordinateur de bord retentissait, annonçant que le véhicule arrivait à destination et qu'une commande manuelle était requise. Lyle n'y croyait pas. Il observa calmement le décor? Son habitation n'avait pas changé d'un pouce, mais lui s'y sentait perdu. Il avait complètement oublié les délires hallucinatoires qu'entraînait le sommeil. Sans vraiment comprendre, il s'installa aux commandes et raccorda le sas de son tetracyclomoteur à celui du bâtiment médical. Lyle ne remarqua pas tout de suite que le soleil artificiel n'avait plus le moindre dysfonctionnement.
Lyle traversa les longs couloirs aseptisés sans même s'en rendre compte. Il ne reprit ses esprits qu'un fois devant la porte hydraulique de la chambre cogitative à laquelle il se rendait.
C'est vrai, il se rappelait à présent, il était venu voir son objecteur de pensées. Il annonça son nom à la commande d'ouverture qui ouvrit la porte en quelques secondes. Il entra calmement et s'assit sur le promontoire de fer qui l'attendait. Derrière la protection en verre tinté, la silhouette du docteur Hausend se dessinait avec des contours flous. Les parlo-phones émirent un grésillement aigu quand ils s'allumèrent.
-Bonjour Lyle, commença Hausend
Mais Lyle était pensif, il ne répondit pas.
Le docteur poursuivit.
-Comment allez vous aujourd'hui? Si vous me parliez de vos problèmes... vous savez, votre enveloppe charnelle, votre manque d'argent, comment cela a-t-il évolué?
Lyle se sentit transpercé par le regard critique de l'homme de science, même à travers la vitre renforcée. Mais c'était le dernier de ses soucis, car au lieu de voir le stress de la semaine émerger sans prévenir, Lyle afficha un sourire satisfait.
-Vous savez docteur, dans le fond, cela n'a pas vraiment d'importance, répondit-il.
-Pas... d'importance?
Lyle pouvait déceler une note d'incertitude dans la voix d'Hausend. Il s'en amusa avant de continuer.
-Je me sens étonnamment bien maintenant. Je crois qu'à l'avenir, je me passerais de vos services.
Il se leva ensuite et quitta la pièce, sans prêter attention aux injonctions du docteur. Il continua à marcher dans les couloirs blancs. Il marchait vite, il ne traînait plus ses problèmes dans son dos.
C'était vraiment une bonne journée...
FIN